Il est
une règle certes cynique mais non moins criante de
vérité : la guerre favorise le développement
rapide des technologies et tactiques de combat. Ce qui est
universellement vrai l'est en particulier pour les snipers
militaires qui, conflit global « antiterroriste »
aidant, doivent composer avec une évolution significative
de leurs doctrines d'emploi.
Afghanistan,
Irak
En
matière de sniping lourd, les épisodes guerriers
récents ont, pour les forces armées de l'Oncle
Sam, induit une prise de conscience : plusieurs centaines
de M107 Long-Range Sniper Rifles en calibre 12,7 mm ont
été acquis en urgence auprès de Barrett
Firearms. Ils ont été et sont encore utilisés
non seulement en Afghanistan pour une cinquantaine d'entre
eux mais aussi et surtout en Irak. A terme, ce sont au total
3 000 armes de ce type qui pourraient être achetées
par l'armée de Terre américaine. Le M107 est
plus léger et moins long que le M82A3 développé
par la même société et universellement
répandu ; les exemplaires livrés ont été
rétrocédés aux unités de forces
spéciales ainsi qu'aux 82nd Airborne et 101st Airborne.
Plus généralement, l'Afghanistan puis l'Irak
jouent un rôle de banc d'essais permettant de tester
une foultitude de nouveautés technologiques.
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Cherchant
à conférer à ses équipes de
tireur d'élite une plus grande autonomie, l'US Army
a ainsi, en milieu d'année 2003, « emprunté
» aux forces spéciales deux quads Polaris Sportman
700 en version « Sniper Vehicle » ; ils ont
été confiés aux fins d'expérimentation
au premier Stryker Brigade Combat Team en partance pour
l'Irak. Ce type d'unité basée sur la mise
en œuvre de différentes versions du blindé
à roues Stryker contrôle organiquement des
équipes de tireurs d'élite légères
ou lourdes aux niveaux compagnie et bataillon. Ces équipes
sont destinées à accomplir des missions pouvant
impliquer un isolement allant jusqu'à 72 heures.
Dans ce
cas, la capacité d'emport du Sniper Vehicle est parfaitement
adaptée : il confère à un binôme
formé de l'observateur ainsi que du tireur une autonomie
de 240 kilomètres. Il est cependant à noter
que 72 heures constitue une durée relativement courte
: on cite le cas d'une équipe de tireurs d'élite
canadiens partis pour une mission de 38 heures et revenus
32 jours après.
Du côté
britannique, les spécialistes de la Brigade Patrol
Troop, unité de reconnaissance profonde rattachée
à la 3 Commando Brigade Royal Marines, ont plus classiquement
utilisé des fusils Accuracy International L96A1 en
calibre 7,62 mm OTAN. C'est avec une arme de ce type qu'un
équipier de la section a réussi, en Irak,
un tir d'emblée sur une cible humaine à une
distance de 860 mètres. En Afghanistan cependant,
les bérets verts britanniques auraient à ce
qu'il semble préféré disposer d'une
arme d'un calibre supérieur. Le choix s'est, dans
le cadre du programme Long Range Large Caliber Rifle, porté
sur l'Accuracy International AW Super Magnum en calibre
.338 Lapua Magnum (8,6 X 70 mm) référencé
L115A1. Compromis entre le relatif manque de puissance des
munitions 7,62 et le poids des armes en .50, ce calibre
permet de prendre en compte des cibles peu protégées
à plus longue distance que celui du classique L96A1.
Testée
par la Small Arms Section de l'Infantry Trials and Development
Unit sise à Warminster, l'arme a en effet induit
la mise en vigueur des normes suivantes pour les tireurs
d'élite britanniques : 70 % de probabilité
d'atteinte d'un objectif de la taille d'une face avant de
Land Rover à la distance de 1 500 mètres ou
d'une silhouette humaine à 1 200 mètres. Les
Hollandais ont également érigé le calibre
.338 à l'état de standard pour leurs armes
de sniping ; quant aux Canadiens, le Parker-Hale de 7,62
mm actuellement en service parallèlement au McMillan
pourrait lui aussi être remplacé par une arme
en calibre .338.
Ces
remarques posent clairement la question suivante : quelle
est la portée efficace d'un tireur d'élite
surtout dès lors que le calibre de l'arme qu'il a
entre les mains augmente jusqu'à atteindre 12,7 mm
?
Portée
du sniping militaire
En Afghanistan,
un sniper appartenant au 3rd Battalion, Princess Patricia's
Canadian Light Infantry a réussi, au moyen d'un fusil
McMillan .50 Cal. Tactical, à atteindre un homme
armé situé à une distance de 2 430
mètres. S'agissant d'un tel tir, la principale variable
est relative aux caractéristiques balistiques intrinsèques
aux munitions utilisées ; or, le calibre 12,7 x 99
(.50 Browning) est considéré comme précis
jusqu'à 1 600 mètres mais ayant, de par son
énergie résiduelle, une certaine efficacité
jusqu'à environ 6 800 mètres (7 500 yards).
Pourtant, au sein de l'Ecole de l'infanterie canadienne
de Gagetown qui forme les snipers nationaux et organise
sur une base annuelle l'International Snipers Concentration,
on souligne que faire but à 2 500 mètres n'est
possible que dans des conditions idéales.
C'est
également l'opinion qui prévaut chez PGM Précision,
société française fournissant le FR
12,7 équipant l'armée de Terre. Egalement
dénommée Hécate, cette arme a une portée
pratique de 1 500 mètres. Certaines unités
rattachées au Commandement des opérations
spéciales (COS) l'ont testée à des
portées supérieures mais avec des résultats
mitigés. Il faut en effet garder à l'esprit
que les armes de sniping lourd en calibre 12,7 mm ont avant
tout été développées pour traiter
non pas des cibles humaines mais des véhicules peu
ou pas blindés ; aux Etats-Unis, des tests ont prouvé
qu'il était ainsi possible de prendre à partie
un camion-citerne jusqu'à une distance de 3 kilomètres.
Lors de la première Guerre du Golfe, un tireur appartenant
de l'United States Marine Corps a réussi à
détruire un blindé irakien de combat d'infanterie
d'origine soviétique BMP-1 distant de 1 100 mètres
avec un projectile mixte perforant/incendiaire. Prétendre
être régulièrement précis sur
une cible de taille humaine à plus de 1 800 mètres
nécessite donc d'utiliser un autre calibre que le
.50, de recourir à des moyens d'acquisition performants,
voire de mettre en oeuvre des systèmes de conduite
de tir automatisant les corrections en fonction des conditions
météorologiques.
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La
conception française
Dans l'Hexagone,
on différencie le tireur de précision mettant
en œuvre un fusil à répétition
manuelle FRF2 en calibre 7,62 mm du tireur d'élite
doté d'un fusil de sniping lourd en calibre 12,7
mm, ce dernier étant en fait un spécialiste
du tir de précision la longue distance en plus. L'emploi
du tireur de précision s'insère dans le cadre
du combat d'infanterie classique tandis que les tireurs
d'élite sont, au sein de chaque régiment d'infanterie,
regroupés dans une section organique de la Compagnie
d'éclairage et d'appui (CEA). En dehors des frontières
françaises, cette « graduation » dans
l'expertise existe également ainsi qu'en témoigne
la mise en service au sein de l'United States Marine Corps
du Designated Marksman Rifle M14 (DMR) développé
à partir d'un fusil semi-automatique M14 de 7,62
mm. Sur des canons sélectionnés, les armuriers
de l'USMC ont greffé une crosse réglable en
fibre de verre ainsi qu'un bipied ; ils ont également
modifié l'arme pour permettre le montage d'un viseur
optique ou optronique de vision nocturne et d'un réducteur
de son. Résultat : pour 600 dollars, les leathernecks
de la 26th Marine Expeditionary Unit (Special Operations
Capable) ont disposé en Afghanistan d'un fusil de
précision ayant une portée efficace de 1 000
mètres comblant le fossé entre le M16 d'une
part et le fusil de sniping M40 d'autre part.
L'exemple
des commandos-marine français nous renseigne quant
à lui sur les us et coutumes en vigueur au sein du
Commandement des opérations spéciales. Les
bérets verts titulaires de la spécialité
Tireur d'élite longue distance (TELD) peuvent, dans
un cadre offensif, être utilisés pour renseigner
sur les mouvements de l'ennemi puis, dès que nécessaire,
traiter les objectifs à haute valeur tactique qu'ils
auront repéré durant la phase de renseignement.
En défensive, la destruction des détachements
de reconnaissance adverses devient une priorité.
Au sein du commando de Montfort spécialisé
en matière de neutralisation à distance, les
tireurs d'élite sont rassemblés dans un «
pool TE » qui n'est cependant pas activé en
permanence. Tactiquement parlant, la « cellule »
spécialisée est actuellement articulée
autour de quatre hommes : l'observateur (détermine
les paramètres météo), le coordinateur
(liaisons radio et synchronisation du tir) ainsi que deux
tireurs, ce nombre étant destiné à
réduire les risques d'échec de la mission.
Les spécialistes du commando de Montfort ont tout
d'abord été doté de fusils McMillan
modèle 87 ELR qui ont été remplacés
par des armes Hecate II de PGM Précision. La détermination
des paramètres du tir est facilitée par l'emploi
de télémètres laser ainsi que de stations
météo et de calculateurs miniaturisés.
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L'ambivalence
reconnaissance / sniping
Outre-Atlantique,
les théoriciens militaires ont, tout particulièrement
au sein de l'United States Marine Corps, toujours lié
la reconnaissance et le tir d'élite, capitalisant
ainsi sur l'aptitude des spécialistes à s'infiltrer
dans les lignes ennemies. Ce concept implique que les snipers
soient entraînés aux techniques de l'acquisition
et de la transmission des informations. Au sein de la 11th
Marine Expeditionary Unit (Special Operations Capable),
les membres du Scout Sniper Platoon rattaché au Battalion
Landing Team ont ainsi été instruits à
l'utilisation du Marine Air Ground Task Force Secondary
Imagery Dissemination System (MSIDS).
Composé
d'un ordinateur portable jouant le rôle de station-pilote
ainsi que de trois Special Camera Systems 1 000 digitales
(en l'occurrence basés sur des boîtiers Canon
10D) reliés à un terminal, celui-ci permet
de transmettre des images pouvant être prises de jour
comme de nuit ; 3 secondes suffisent pour cela. Outre son
intérêt en matière de renseignement,
ce système permet de mieux contrôler l'emploi
d'un tireur d'élite : celui-ci peut ainsi très
facilement notifier à un échelon supérieur
la zone d'observation couverte. Auparavant, ceci n'était
possible que par la réalisation manuelle d'un schéma
qu'il fallait ensuite encoder pour en transmettre les points
caractéristiques au moyen de multiples messages radio.
L'opération nécessitait entre deux et quatre
heures de temps et le résultat se révélait
d'une fiabilité douteuse : les erreurs d'encodage
étaient monnaie courante et l'exactitude du schéma
dépendait des aptitudes artistiques du tireur. Le
MSIDS a tout d'abord été acquis au profit
des unités de reconnaissance profonde mais son intérêt
s'est révélé tel que la dotation a,
dans le cadre d'Iraqi Freedom, été étendue
aux équipes de tireur d'élite.
En
matière d'acquisition des informations, le MSIDS
ne constitue cependant pas le seul moyen technologiquement
évolué mis à la disposition des tireurs
d'élite. Le Groupe d'intervention de la Gendarmerie
nationale (GIGN) a par exemple été doté
de drones miniatures Coccinelle mis en œuvre par la
section « appui opérationnel ». Facile
d'emploi, discret, ce drone développé par
Tecknisolar-Seni restitue une imagerie facilitant notamment
le placement des snipers qui peuvent ainsi planifier la
prise en compte des secteurs de tir.
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Parfois,
l'ambivalence reconnaissance/sniping peut se révéler
contre-productive. Ce fut le cas au Canada où, en
vertu de schémas tactiques privilégiant leur
emploi en tant que tels, les tireurs d'élite ont
été amenés à privilégier
l'entretien de leurs aptitudes en matière de patrouille
sur les arrières de l'ennemi. L'expérience
afghane a aidé les tacticiens canadiens à
prendre conscience de ce déséquilibre ; le
conflit a également été à l'origine
d'une autre évolution en matière d'emploi
des tireurs : désormais, ceux-ci devront pouvoir
guider les appuis procurés soit par l'artillerie
soit par l'aviation. Actuellement, les forces armées
nationales comprennent environ 320 snipers qualifiés
qui ne sont cependant pas tous employés dans ce rôle
: les postes budgétaires ouverts le sont à
raison de huit tireurs d'élite pour chacun des neuf
bataillons intrinsèques aux forces terrestres.
Des
tactiques particulières
Cette
ambivalence amène donc les spécialistes du
tir à acquérir des connaissances affirmées
en matière d'acquisition du renseignement d'origine
imagerie (ROIM). Mais, ainsi que nous l'avons vu s'agissant
de la Brigade Patrol Troop britannique, l'inverse est également
vrai : les unités de reconnaissance s'entraînent
assidûment au tir de précision. Ce constat
est notamment conforté par l'exemple américain
dans un contexte de lutte antiterroriste en zone bâtie.
Ainsi, avant de prétendre rejoindre les rangs de
la Maritime Special Purpose Force (MSPF) intrinsèque
à la 24th Marine Expeditionary Unit (Special Operations
Capable), les membres du Reconnaissance and Surveillance
Platoon de l'unité ont, en avril 2004, perfectionné
leurs aptitudes au sniping urbain dans le cadre de l'Advanced
Urban Reconnaissance and Surveillance Course. Celui-ci est
principalement destiné à entraîner les
spécialistes du peloton à la surveillance
des immeubles abritant des terroristes et ce, en vue de
préparer l'action d'une unité chargée
de libérer d'éventuels otages. Dans le cadre
de ce scénario, le couplage reconnaissance/tir de
précision prend tout son sens. Les systèmes
de vision jour/nuit couplés aux armes autorisent
la permanence de l'observation tandis que la connaissance
de l'objectif dont font preuve les observateurs leur permet
de coordonner plus facilement le tir simultané sur
plusieurs preneurs d'otages passant d'une pièce à
l'autre à l'intérieur de l'immeuble.
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Pour terminer,
faisons état d'une autre tendance lourde en matière
de doctrine d'emploi des snipers : on leur demande désormais
d'être capables de tirer à partir d'un hélicoptère.
Cette tactique particulière est notamment à
l'honneur au sein des commandos-marine français qui
disposent pour ce faire de fusils Heckler & Koch G3
qu'ils utilisent depuis des Super Frelon ou des Lynx. Leurs
homologues de l'United States Marine Corps apprennent également
à maîtriser des savoir-faire équivalents.
Sous la férule des instructeurs d'un des trois Special
Operations Training Groups, quelques « nuques de cuir
» du 4th Marine Regiment et du 3rd Reconnaissance
Battalion en l'occurrence mêlés à des
opérateurs du 1st Special Forces Group de l'armée
de Terre ont notamment, en décembre 2003 à
Okinawa, entretenu leurs aptitudes au tir à partir
d'un CH-53D Super Stallion. Ainsi entraînés,
les tireurs peuvent, à partir d'un tel aéronef,
appuyer de manière appropriée des équipes
chargées d'aborder des navires suspects lors d'opérations
dites « Vessel Boarding Search and Seizure (VBSS)
». Dans le cadre de ce stage, les armes utilisées
ont été des fusils Barrett en calibre .50
depuis la tanche arrière de l'hélicoptère
ou des M40A3 équipés de viseurs jour/nuit
PVS-10 depuis les portes latérales ; pour l'occasion,
les M40A3 étaient brêlés à l'aide
de filins de descente en rappel.
Texte
: Jean-Jacques Cecile